Je dois sans doute reprendre mes notes sur mes pérégrinations sahéliennes, mais l’immersion dans les archives coloniales, à Aix-en-Provence, m’éloigne de ma table de travail. Mes journées se passent debout à photographier des documents. L’histoire que j’ai l’intention de raconter, au moins en partie, est une sorte de réponse à la question que m’ont posé les étudiants que j’avais sélectionné pour une formation en économie politique au Niger, il y a quelques années. La question était existentielle si l’on veut. Elle venait à la fin de deux cours.
Dans le premier cours, j’avais décrit les différents paradigmes d’économie politique qui se sont succédés au fur et à mesure de l’évolution de l’économie capitaliste, depuis le 16ème siècle : bullionisme/mercantilisme, libéralisme classique et sa critique marxiste, keynésianisme/développementalisme, les divers néolibéralismes (ordolibéralisme, libertarianisme, libéralisme néoclassique), pensées hétérodoxes et capitalisme d’Etat. J’avais enclenché avec un cours sur « l’histoire moderne du Niger » qui montrait comment ces paradigmes étaient appliqués dans la « vraie vie » d’un pays (en l’occurrence, pour le Niger, il s’était agi d’abord du « mercantilisme colonial », paradigme plutôt monstro simile dans lequel une forme de libre-échange était appliquée aux acteurs économiques et financiers métropolitains intervenant dans les colonies, tandis que des règles mercantilistes étaient appliquées aux acteurs économiques non-métropolitains, menant ainsi à une intégration économique – principalement commerciale, peu financière, pas industrielle – entre métropole et colonies ; puis du développementalisme – dès 1945, avec modification à partir de 1960 ; et enfin libéralisme néoclassique avec l’ajustement structurel et la nouvelle orthodoxie régnante dans les pays sous magistère occidental).
La question était la suivante : où allons-nous ?
C’était une question logique. Je n’y avais pourtant pas pensé en préparant le cours, préoccupé que j’étais de la transmission de l’information. Le cours a eu pour effet de nous donner une perspective de surplomb sur le Niger et de nombreux autres pays de ce genre, dont tout d’un coup le parcours historique nous apparaissait comme une sorte d’errance dans un désert.
Il faut peut-être, avant que je n’aille plus loin, expliquer rapidement ce que j’entendais par « paradigme ». Je m’étais inspiré de la théorie de Kuhn, et donc le paradigme renvoie à un consensus dominant au sein duquel certaines choses sont pensables et d’autres sont impensables. Chez Kuhn, et pour des raisons spécifiques aux sciences « naturelles », la logique du « développement par accumulation » n’est pas remise en cause par le fait qu’il y a des épisodes de mutations révolutionnaires (Kuhn a écrit un post-scriptum fameux pour expliciter les raisons pour lesquelles sa théorie des révolutions paradigmatiques ne remet pas en cause l’idée de progrès scientifique). En matière d’économie politique, la succession des paradigmes n’implique pas un tel progrès des connaissances, et c’est ici que le concept d’économie politique prend tout son sens. Les économistes – ceux qui font de l’économie, pas de l’économie politique – pensent que leur discipline est, peu ou prou, une science comme les sciences naturelles, et progressant, tout comme ces dernières, à travers le « développement par accumulation ». L’analogie est fausse. Le monde naturel est un univers de phénomènes presque infinis et nous savons bien que nous en ignorons l’immense majorité et que les lois et régularités que nous avons énoncées sur la base de ce que nous connaissons sont, pour la plupart, soit provisoires, soit initiales ou même simplement hypothétiques en attendant plus ample vérification ou plus pertinente confirmation. Le progrès scientifique est basé essentiellement sur le doute, et non sur la certitude qu’une vérité terminale a été atteinte. L’économie « avance » différemment. Le monde de la production, de la transaction et de la spéculation n’est pas infini. L’essentiel de ce qui a été dit à son sujet l’a déjà été en de nombreux endroits du monde et de plusieurs façons différentes. Les débats ne surviennent pas sur des questions douteuses ou des découvertes révolutionnaires, mais sur des interprétations et des approches méthodologiques. On est là dans un domaine analogue à celui des controverses religieuses, et chaque école économiste prétend, comme l’a fait le Prophète Mohammed, apporter le dogme final, et non pas reprendre à neuf le mystère inépuisable du monde.
Le sens des écoles économistes (libéralisme classique, marginalisme, école de Vienne, keynésianisme, monétarisme, etc.) ne s’inscrit pas dans le processus de découverte de vérités scientifiques, mais dans celui d’orientation des politiques économiques – et leur triomphe n’est jamais épistémologique, il est toujours politique. Si les monétaristes tiennent le haut du pavé, ce n’est pas parce que les keynésiens leur ont concédé d’avoir eu raison, et d’ailleurs, contrairement à l’astrologie qui a disparu comme science devant l’astronomie, les keynésiens continuent à exister et à faire de l’économie ; leur suprématie provient de la droitisation de la politique dans les pays occidentaux, et du noyautage des départements d’économie des facultés américaines par des gens, comme les milliardaires libertariens, les frères Koch, qui ont financé le mouvement néolibéral à la façon dont certains milliardaires wahhabites ont financé le mouvement salafiste. Certes, les recherches des économistes sont des explorations de la réalité, mais leur véritable modèle – qu’ils ne reconnaîtrons certes jamais comme tel – ce sont les historiens. La méthode de l’histoire est l’enquête, et s’il lui arrive d’utiliser la statistique, c’est pour résoudre certains aspects du puzzle qui se prêtent à cela et qui le requièrent (comme par exemple une question du genre : « quel est l’impact des traites négrières sur la démographie africaine ? »), non pour énoncer des « lois ». Une autre manière de le dire, c’est que l’histoire comme l’économie sont tributaires aussi bien de la contingence que de la nécessité, qui sont les deux facettes de la connaissance de l’humain – et que l’histoire est plus proche de la contingence, l’économie plus proche de la nécessité. Il y a toujours eu, dans les recherches économistes, la quête d’une compréhension de ce qui arrive nécessairement. Les étudiants en économie ont souvent entendu parler de la « controverse de Malestroit », un débat entre Jean de Malestroit et Jean Bodin dans les années 1560 – sans pour autant jamais lire les pièces du débat. Ils sont pourtant intéressants. On y découvre, entre autres choses, que la pente du royaume de France, au XVIe siècle, n’était pas le mercantilisme, mais le libre-échange, dont les linéaments sont clairement exposés par Bodin, d’une façon qui rappelle Hume (Political Discourses, 1752) et Adam Smith. Bodin répondait à des propositions de Malestroit que ce dernier avait qualifiées de « paradoxes », et par ce mot, il entendait décrire sa quête des « sources » de l’inflation existant alors en France en se fondant sur des démonstrations « par raisons grandement paradoxées, c’est-à-dire, fort elloingnées de l’opinion du vulgaire » afin de « traicter la matière selon son naturel » (orthographe d’origine, i.e., de 1568). Les « raisons paradoxées » sont des régularités démontrables, car liées à la nécessité (« naturel ») des choses. Soit dit en passant, quand j’étais étudiant aux Etats-Unis, un conseil fréquent reçu des enseignants était de commencer un papier par un « paradoxe », non seulement parce que cela agrippe aussitôt l’attention du lecteur, mais aussi parce qu’il requiert ensuite une démarche démonstrative tendant à affirmer, en conclusion, une sorte de régularité celée, qu’on aura ainsi mis au jour. Le texte de Malestroit se présente d’ailleurs comme une démonstration, utilisant la forme syllogistique qui était alors en vigueur dans les universités européennes (majeure, mineure, etc.) – mais étant immédiatement reconnaissable pour le lecteur d’aujourd’hui comme un texte d’économie, à travers des choses comme la mode de preuve, les catégories de données, etc. (le vocabulaire revêt parfois un certain exotisme dû au passage du temps, mais les choses elles-mêmes sont bien reconnaissables). Mais aussi bien la démonstration de Malestroit que la réponse de Bodin sont déterminées par le contexte politique. Malestroit était un consultant commis à sa tâche par la Chambre des comptes (l’équivalent Ancien Régime de la Cour des Comptes) et donnant avis au roi de France sur sa politique monétaire afin qu’il advienne « à vous premièrement, Sire, puis à vos Subjects, un grand & incroyable profict ». Cela n’est pas épistémologiquement neutre. A cause de l’objet suivi, Malestroit et Bodin, par exemple, examinent séparément l’offre et la demande, parce que ce qui les intéresse, c’est la hausse des prix, le « renchérissement », la « cherté », source de perturbations que l’autorité politique voulait prévenir – tandis que les économistes du 19ème siècle, plus intéressés par la logique de détermination des prix (chose qui préoccupait le grand capital), ont articulé l’offre et la demande l’un à l’autre. Dans les deux cas, les préoccupations d’un pouvoir (le roi, le grand capital) ont conduit les économistes à réfléchir sur des nécessités et à démontrer des régularités.
Evidemment, on voit à plein les conséquences et implications pour des pays comme le Niger. J’y ai été confronté, d’une certaine manière, dans la conduite même des cours. Il y avait, dans la première cohorte, trois étudiants en provenance du département d’économie qui ont manifesté ce que je qualifierais de résistance idéologique à mon cours. En gros, face au phénomène perturbateur que je représentais manifestement par rapport à leur instruction universitaire, ils ont cherché la meilleure (ou la pire devrais-je dire) catégorie où me placer, et ils ont décidé que je devais être un altermondialiste, c’est-à-dire quelqu’un gouverné par une idéologie utopiste et complotiste et à ne pas trop prendre au sérieux. J’exagère sans doute : ils ne pouvaient véritablement me réduire à cette caricature, mais cela restait tout de même une échappatoire pour eux face aux assauts que je leur paraissais monter contre tout ce qu’ils avaient appris et qui faisait partie de leur identité. Ils ne se rendaient pas bien compte (à l’exception d’un, qui « évolua » merveilleusement) que mon propos n’était pas tant la science économique en tant que telle que ce que la science économique signifiait au point de vue politique. Et pour le Niger, elle signifiait indéniablement une forme de servitude ou en tout cas d’inutilité.
Tout ce que je viens de dire doit nous amener à la conclusion que les paradigmes d’économie politique naissent de débats entre économistes menant à des consensus gagnants dont la victoire est généralement assurée par des autorités politiques (par quoi il faut aussi comprendre non pas seulement les Etats, mais aussi le grand capital, d’ailleurs souvent proche des dirigeants des Etats), et qui sont sujets aux critiques de dissidents marginalisés. La question est de savoir au profit de qui le consensus se forme-t-il. Pour qui est-il utile ? Qui renforce-t-il (et qui affaiblit-il) ? En donnant les deux cours sur les paradigmes et sur l’histoire du Niger, je me suis aperçu, en même temps que les étudiants, que le Niger a été gouverné tout au long de sa brève histoire par des consensus qui n’étaient pas destinés à le renforcer ou à lui être utile. Cela, de manière très complexe.
Prenons par exemple le paradigme « colonial ». Je mets les guillemets car il ne s’agit pas à proprement parler d’un paradigme colonial, mais d’un dérivé du paradigme libéral qui gouvernait la France de la IIIe République. La France de cette époque avait un Etat minimal (non interventionniste, favorable à la libre entreprise et au grand capital), une politique monétaire austéritaire (l’étalon or), et un gouvernement basé sur le libéralisme politique, plus « liberté » que « égalité » et « fraternité » (la IIIe République n’avait même pas de constitution – la fameuse formule de « République démocratique, laïque et sociale » qui paraît un dogme du constitutionnalisme français/francophone est une réaction de la IVe République contre le libéralisme bourgeois de la IIIe – même si c’est la IIIe qui a défini la laïcité et commencé à définir ce que c’était qu’une « république sociale » sous le court règne du Front Populaire). La colonisation ne pouvait être l’œuvre que d’une telle république libérale. Une république « sociale », i.e., reconnaissant toutes sortes de droits économiques et sociaux, ne se serait jamais lancée dans une telle aventure, car du fait de son éthos, il aurait dès le départ été question d’étendre de tels droits aux colonisés. C’est d’ailleurs cette question (« cartiérisme ») qui a fini par faire dérailler la colonisation sous la IVe République – car tout d’un coup, on est passé de la mise en valeur/exploitation au développement, ce pour quoi les Français ne se sentaient pas prêts.
Pour la IIIe République, la colonisation faisait sens comme entreprise économique rapportant quelques dividendes politiques (prestige international, puissance militaire accrue en cas de conflit en Europe) et justifiable à travers l’idéologie évolutionniste de la civilisation qui imprégnait l’Europe occidentale depuis le siècle des Lumières. En tant qu’entreprise économique, elle devait cependant rester libérale : l’Etat organisait le terrain de jeu pour qu’il soit équitable à l’égard de tous les agents économiques (ce qui impliquait, en bonne politique libérale, l’acceptation de l’inégalité, qui était aiguë entre Français et Africains) – avec un bémol, puisque les agents économiques français étaient avantagés par rapport aux agents économiques étrangers (i.e., étrangers européens) par le jeu des mécanismes d’investissement et de bancarisation. Dans les années 1920, une théorie de la mise en valeur fut élaborée requérant que l’Etat intervienne dans l’économie et la société des colonies pour les amener à être plus productives et donc rentables et attractives pour l’investisseur français. Il s’agissait là en apparence d’une violation du paradigme libéral, mais la IIIe République en était incapable, en bonne part parce qu’il aurait alors fallu voter des crédits substantiels à l’endroit des colonies (ce que quelques fonctionnaires coloniaux dissidents, au moins dans leur pensée, avaient d’ailleurs recommandé) – les transferts fiscaux étant évidemment hors de question (les colonies ne faisaient pas partie de la France, elles étaient des dépendances et des pupilles de la France). Or, étant donné les fondations austéritaires de la IIIe République, longtemps cimentées par l’attachement à l’étalon-or, de tels crédits ne pouvaient être votés, les colonies devant éviter l’endettement. Bref, les moyens manquèrent toujours pour passer à la mise en valeur. Certains analystes – par exemple Kimba Idrissa, historien nigérien auteur d’une thèse d’Etat monumentale documentant en partie ces questions – sont perplexes devant cette incapacité française dont ils ont du mal à comprendre l’origine. En bonne part, cette origine est « paradigmatique » (la preuve étant que la même incapacité existait côté britannique, la Grande-Bretagne étant aussi, à cette époque, un Etat libéral-bourgeois. On s’en aperçoit moins bien vu du Sahel, étant donné la richesse des colonies britanniques d’Afrique de l’Ouest et leur insertion dans le mouvement commercial de l’Empire britannique, plus vaste que celui de l’Empire français : mais du point de vue de la gouvernance économique, la Grande-Bretagne appliquait les mêmes principes que la France).
Après la seconde guerre mondiale, la gouvernance économique change chez les colonisateurs avec l’émergence du Welfare State/Etat providence. Dans ce nouveau paradigme, la pauvreté des pays colonisés devient leur principale caractéristique. Non pas qu’elle n’était pas constatée par le passé, mais cela ne représentait pas un obstacle intellectuel au concept d’exploitation. Tout d’un coup l’exploitation, sans disparaître, devient intellectuellement impensable, parce qu’il faut, à présent, « développer » ces pays. Initialement, le développement devait se faire sous la direction des métropoles, que le jargon mis en avant dans ce contexte nouveau par les colonisateurs qualifie de « puissances administratives » (« administering powers »). Mais bientôt, il parut plus simple de passer l’égide à des gouvernements autonomes puis indépendants, sans que, toutefois, la maîtrise du paradigme leur revienne. De nouvelles institutions internationales nées dans le cadre de la remise en ordre de la gouvernance économique internationale dans le « monde libre » allaient élaborer le paradigme développementaliste, non seulement la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (maintenant on dit plus simplement la Banque Mondiale, dont elle est le pilier central) et le Fond Monétaire International, mais également les institutions de coopération bilatérale et multilatérale mises en place par les pays industrialisés à la suite de leur redressement.
Ce paradigme existe toujours d’une certaine façon, mais tandis qu’il était plutôt « keynésien » jusqu’au milieu des années 1970, il est devenu « néolibéral » au début des années 1980 – si bien que ce qui était intellectuellement pensable et possible dans les années 1960 ne l’est plus aujourd’hui, du fait de la nouvelle articulation entre les nécessités de la mondialisation et la connaissance produite par la science économique paradigmatique (étant entendu qu’il y en a une dissidente chez les économistes dits hétérodoxes ou même des « repentis » comme Joseph Stiglitz). Dans tous les cas, même sous sa forme antérieure, certainement plus favorable à une action autonome des dirigeants politiques, le paradigme était problématique dans la mesure où il reflétait une hiérarchie post-impériale dans laquelle le consensus consistait à prendre d’abord en charge les problèmes des pays industrialisés. (Après tout, c’est la stagflation, dans ces pays, de la fin des années 1970 qui a entraîné la chute du paradigme welfariste (et de son corollaire développementaliste) et mené à la reconversion du FMI et de la BM en agents de la mondialisation néolibérale.) Par ailleurs, le paradigme développementaliste repose sur une définition des pays cible comme « pays sous-développés » ou « en voie de développement », ou « pauvres » qui les réduit tous, en dépit de leur diversité et de leurs différences, à une série de caractéristiques immuablement négatives et de même type, saisissables par les experts et par « l’économie du développement ».
Ce n’est pas que ces pays n’ont que des problèmes. Pis : tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils sont est nécessairement un problème. Ils sont moins objet de science que d’assistance, une assistance forcément extérieure, et basée sur une connaissance produite de l’extérieur, avec des questionnements commandés par la négativité absolue qui les constitue. Cette connaissance tourne à vide, soutenue par les sommes folles dépensées pour impulser le processus de développement, nourrissant surtout une énorme superstructure internationale destinée à « développer » le monde pauvre (et qui, on a peine à le croire, n’existait absolument pas avant 1945 : car telle est la puissance des paradigmes d’économie politique) sans véritable souci de résultats – ce qui se voit par le cycle rapide et instable des politiques pleines de contradiction fermement recommandées ou imposées – ou plus simplement inculquées – aux décideurs des pays « sous-développés » à travers souvent des instances différentes, ayant des intentions et des projets différents. Dans ces conditions, il est clair que le paradigme développementaliste, sous sa forme centrée sur l’Etat (avant) ou sous sa forme centrée sur le marché (aujourd’hui) n’aboutira jamais à « développer » les pays « sous-développés » : son objet principal est de soutenir le consensus dominant (welfariste auparavant, néolibéral aujourd’hui) dans des régions du monde dont les problèmes étaient très différents de ceux des régions où ce consensus était apparu, en bonne part (au moins dans les années 1960-70) pour les dissuader d’aller voir ailleurs (i.e., du côté du Bloc de l’Est).
A la fin du cours, donc, il était naturel que les étudiants me demandent : « Où allons-nous ? »
Je ne pouvais pas répondre à cette question, bien entendu – mais je n’en étais pas moins satisfait qu’elle ait été posée, dans la mesure où elle reflétait une forme de prise de conscience plutôt rare dans la jeunesse en Afrique, de nos jours, c’est-à-dire une prise de conscience (politique) intellectuelle. Dans sa forme, elle m’a rappelé la question posée par Tchernichevsky, Que faire ? – qui était une question existentielle des Russes de l’époque, bien qu’il se soit empressé de lui donner une réponse platement idéologique (comme le fera également plus tard, à sa propre façon, Lénine). A l’époque, devant l’intensité de la question je m’en étais sorti par une pirouette : « Pour vous répondre, il faudrait que j’en sache plus ! » Mais le nouveau projet de recherche (et d’écriture) dans lequel je suis à présent embarqué n’a été entrepris, en somme, que pour tâcher de répondre à cette question – non pas sur des bases idéologiques, mais à la suite d’une enquête et afin de pouvoir un jour dire, paraphrasant Jean de Malestroit, qu’il en adviendra « à vous premièrement, Peuple, puis à vos Dirigeants, un grand & incroyable profict ».